Apprendre la danse classique aux enfants #1: interview de Julie Schepens, professeur de danse classique à Paris

Spectacle de fin d'année de Julie Schepens, juillet 2012

Julie Schepens est danseuse et professeur de danse à Paris, titulaire du diplôme d’Etat. Elle enseigne pour tous les âges et tous les niveaux. CCCD l’a rencontrée et l’a suivie pour son spectacle de fin d’année.

 

A quel âge peut-on commencer la danse classique ? Et quelles sont les étapes d’apprentissage?

JS. L’éveil à la danse commence à 4 ans. Il s’agit d’un éveil musical et anatomique. On fait des exercices pour préparer les vrais exercices : des sautillés pour les futurs temps levés, courir au galop pour les futurs sauts de chat, etc. L’éveil n’est pas obligatoire, moi j’ai commencé la danse à 7 ans, mais bon, les parents ont besoin de caser leurs enfants !

Après l’éveil, l’initiation commence à 5-7 ans, où l’on approfondit, on apprend à pointer/flexer les pieds, tenir son dos, tenir une 1ère, un en-dehors, un retiré, et bien sûr, la souplesse.

A 8 ans on peut entrer au conservatoire. C’est la première année où l’on suit un « vrai » cours, avec une barre (d’ailleurs les enfants sont souvent face à la barre, pour commencer). A partir de là, on est plus dans la rigueur que dans le jeu.

 

Pourquoi les enfants ont envie de danser ? Est-ce que c’est un penchant naturel, est-ce que c’est une vocation, est-ce le rêve de ressembler aux étoiles ? Est-ce les mamans qui font un transfert ?

JS. C’est surtout le phénomène « tutu-danseuse étoile ». Les enfants ne se rendent pas bien compte du travail réel de la danse classique. Quant aux parents, je dirais qu’effectivement, dans 50% des cas, ce sont eux qui poussent les enfants à la danse.

 

Et pour les petits garçons ?

JS. Moi j’ai trois garçons en cours d’éveil ils ont tous demandé à danser à leurs parents !

Photos : spectacle de Julie Schepens, juillet 2012

La danse, c’est apprendre des mouvements anti-naturels, surtout au niveau de la colonne vertébrale, de l’en-dehors, du coup de pied. Comment gérer la douleur ?

JS. Je n’irai pas jusqu’à dire que la danse est anti-naturel ! Sauf peut-être pour le bassin.

En fait, le mental est souvent plus important que le physique. Certains enfants arrivent à comprendre que pour faire un position, il faut travailler.

Certains vont lâcher très vite.

 

Comment un enfant prend-il conscience de son propre corps ?

JS. Il n’en prend pas conscience tout de suite.

Il voit sa souplesse par rapport aux autres : quand on fait la grenouille ou le papillon, mais il ne se compare pas vraiment aux autres, ça vient plus tard.

 

Ça dépend du niveau aussi, et  de la fréquence des cours. Une petite qui veut le conservatoire va forcément comprendre plus vite que c’est important.

 

Quelle place donnes-tu à l’apprentissage de l’anatomie ?

JS. Très importante. Je m’en suis rendue compte en passant le diplôme d’Etat pour devenir prof de danse, notamment à l’épreuve de kinésiologie, c’est à dire l’analyse du mouvement.

 

Aux enfants, on ne va pas les endormir en leur parlant de psoas, alors on donne les priorités : épaule, taille hanche, articulations importantes, coccyx, et ce dès les tout-petits (4 ans). Par exemple, je leur colle des post-its sur la malléole interne pour qu’ils comprennent qu’on doit les voir dans le miroir.

 

Photos: spectacle Julie Schepens, juillet 2012

Avant de savoir danser, il faut un travail sacrément laborieux. Il faut beaucoup d’imagination pour le rendre ludique, non ? C’est quoi ton secret ?

JS. J’utilise beaucoup le mime, le pantomime pour les expressions. Et beaucoup d’images.

J’ai un fils, donc j’ai des références : Ratatouille la petite souris etc.

 

On joue aussi beaucoup avec des foulards, ça permet de vérifier la mobilité.

 

Pour stimuler l’imaginaire, je mets en place des ateliers chorégraphiques. Ça me permet aussi d’observer les talents des uns et des autres, je vois s’ils réutilisent ce qu’on a travaillé ou s’ils inventent eux-mêmes.

 

J’utilise aussi des instruments de musique, comme les triangles.

 

Parfois, tu te fâches ?

JS. Oh oui !

Surtout en préparation de spectacle. Je suis très pointue sur la musicalité, le placement géographique. Après, sur la technique, c’est moins grave.

 

Je hurle beaucoup, mais mes élèves le savent, et j’ai prévenu les parents.

C’est pas si grave, je me rattrape, et de même que je change souvent d’exercices, je change souvent d’humeurs en un cours. Les enfants oublient vite que tu as crié dix minutes avant.
Qu’est ce que tu as retenu de ton propre apprentissage, que tu reproduis ou au contraire, que tu évites ?

J’ai connu un apprentissage très dur, j’étais à l’école de l’Opéra. Là-bas, pas d’humour, seulement de la rigueur, de la discipline. On écrase les enfants pour voir jusqu’où elles peuvent aller psychologiquement, on te traite de gros tas, sans arrêt. C’est vraiment difficile.

Moi j’ai eu la chance d’être arrivée un peu par hasard à la danse donc j’avais beaucoup de recul.

 

Tout danseur ne peut pas enseigner, surtout aux enfants. Quelles sont les qualités principales qualités du pédagogue en danse, d’après toi ?

JS. Il faut beaucoup de patience, tout d’abord.

Ensuite il faut de l’humilité. Beaucoup de danseurs ont été de grands danseurs, ont fait une belle carrière, donc ils sont très « moi-je », or pour être prof, il faut accepter de donner ses « petits trucs ».  En plus, certains profs détestent enseigner aux débutants.

 

Certains danseurs ne savent pas expliquer, c’est pour ça que d’autres danseurs qui ont une carrière moins impressionnante sont de meilleurs pédagogues.

 

Ensuite, il faut savoir faire appliquer la discipline. Si on a soi-même des enfants, c’est plus facile pour la discipline, pour l’imaginaire.

 

Il faut savoir la doser : il y a beaucoup de filles qui ont arrêté la danse à cause du prof, pas parce qu’elles n’aimaient plus danser.

 

Y a-t-il eu une évolution ces dernières années en termes d’apprentissage de la danse aux enfants ?

JS. Avant les profs de danse étaient des anciennes « stars » ou des grands maîtres. Ils sont malheureusement en train de disparaître.

Depuis 20 ans, il existe le diplôme d’Etat. Il y a beaucoup plus de profs de danse qui n’ont pas fait « carrière ».

Malheureusement on tombe dans l’extrême inverse : des jeunes veulent juste devenir prof pour pouvoir se dire « danseurs », mais n’ont pas vraiment fait carrière avant. Le risque est qu’il s’agisse de nanas frustrées qui veulent enseigner juste pour « faire de la danse », alors qu’elles ont raté leurs carrières.

 

Le style, la méthode aussi a évolué, surtout en matière d’enseignement aux amateurs : on n’exige pas la même chose que pour de futurs pros.

 

Photos : spectacle de Julie Schepens, juillet 2012

C’est important les galas de fin d’année ? Le sentiment d’accomplir quelque chose ?

JS. Le mois de juin est le plus fatiguant pour les profs ! Entre les costumes,  les répétitions. C’est beaucoup de travail en plus des heures de cours.

Mais c’est agréable, on est chorégraphes aussi, ça nous permet de nous exprimer.

 

Comment les enfants gèrent leur stress ? Et toi ?

JS. Ça dépend des enfants : certains ne se rendent pas compte, certains pleurent, certains stressent un peu. En général : ils sont super contents en sortant de scène.

 

Pour éviter les drames, on fait une répétition générale pour voir le nouveau lieu, les lumières en plus etc.

 

Je n’ai jamais eu de gros problème, juste une fois une petite fille qui ne voulait pas rentrer sur scène.

En fait, ils veulent surtout me plaire à moi, je leur fous la pression !

 

Avoue, si t’enseignes la danse aux enfants,  c’est juste pour le plaisir de les déguiser en petites marguerites trop mignonnes au gala de fin d’année ?

JS. Et non ! Il faut de la rigueur. Dans mes cours, les tenues sont imposées. Le spectacle, c’est pour leur faire plaisir, ainsi qu’aux parents.

D’ailleurs, comme je m’évertue à leur faire comprendre : la tenue qu’ils portent sur scène, c’est pas un déguisement c’est un costume !

Remerciements : Julie Schepens, retrouvez ses cours ici

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